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BRUSSELS STUDIES INSTITUTE

Recontextualisation des fresques du Parcours BD de Bruxelles

Recontextualisation des fresques du Parcours BD de Bruxelles

Aujourd’hui le 11 septembre 2021, la Ville de Bruxelles a inauguré une nouvelle fresque de l’artiste Elodie Shanta à la place Bockstael, s’ajoutant aux 63 autres fresques du Parcours BD de Bruxelles. Pourtant depuis plusieurs années, ce Parcours BD fait l’objet de critiques. Certaines de ses fresques, issues de la bande dessinée franco-belge, ont été épinglées pour les stéréotypes sexistes ou racistes qu’elles véhiculent. La Ville de Bruxelles a décidé d’entamer un travail de fond sur la présentation des œuvres afin de recontextualiser ces représentations. Le Brussels Studies Institute, ACME et le Centre belge de la bande dessinée s’associent pour cette mission et ont présenté leur approche afin de recontextualiser les fresques du Parcours BD de manière à la fois critique et pédagogique.

Inauguration de la fresque d’Elodie Shanta à la place Bockstael, en présence de l’échevin honoraire Michel Van Roye, l’échevin Arnaud Pinxteren, Fabrice Preyat (ACME) et Joost Vaesen (BSI) – 11.09.2021

Fresque Odilon Verjus, rue des Capucins – 1000 Bruxelles. Un tag « Decolonise ! » a été apposé sur la fresque. La Ville de Bruxelles n’a pas retiré ce tag jusqu’à ce jour, interpellant ainsi le passant sur cette thématique

Fresque Odilon Verjus, rue des Capucins – 1000 Bruxelles. Un tag « Decolonise ! » a été apposé sur la fresque. La Ville de Bruxelles n’a pas retiré ce tag jusqu’à ce jour, interpellant ainsi le passant sur cette thématique.

La présence dans l’espace public de symboles renvoyant à la colonisation ou à des représentations stéréotypées sexistes est aujourd’hui au centre de très vifs débats. Les mouvements #metoo et Black Lives Matter, les organisations et associations de la société civile ainsi que de très nombreuses initiatives portées par des individus engagés ont participé à une large prise de conscience de l’impact et des enjeux des discours (in)directs présents dans l’espace public. En Belgique et à l’étranger, les débats qui s’ouvrent montrent combien cette problématique est sensible et peut rapidement mener à de vives protestations, à des actes de vandalisme, voire à la destruction pure et simple d’œuvres. Les autorités locales, lorsqu’elles ont ignoré ce large débat public, ont parfois donné l’impression de ne pas respecter la diversité d’une population, dont une partie n’accepte plus certains choix réalisés par le passé. Tout indique que les critiques sur les stéréotypes considérés comme sexistes ou racistes, entre autres, dans l’espace public sont destinées à se poursuivre et à s’amplifier.

Les stéréotypes dans la bande dessinée

En tant que discours social largement diffusé et porteur de tout un imaginaire, la bande dessinée n’échappe pas à ces critiques, a fortiori au cœur d’un parcours de l’espace urbain qui, de la case à la fresque, exp(l)ose hors mesure ses compositions.

Détail de la fresque « Passe moi l’ciel », rue des Minimes – 1000 Bruxelles. Le premier policier représenté sur cette fresque regarde clairement le personnage de couleur.

Lors de sa création en 1991, le Parcours BD avait pour objectif d’embellir les murs de la ville de manière originale en attirant les visiteurs et en soustrayant plusieurs espaces à l’emprise des publicitaires. Trente ans plus tard, son succès le conduit très logiquement à être au cœur de vifs débats et l’évolution de la société engage à adopter une distance critique face aux images publiquement véhiculées. Remis en cause en raison de l’absence d’autrices, le Parcours BD a enfin accueilli, en 2017, la première fresque d’une artiste, Dominique Goblet. Aujourd’hui, la huitième fresque d’une autrice a été inaugurée à la place Bockstael, illustrant la volonté des autorités de la Ville de présenter une image plus proche de la réalité de la bande dessinée contemporaine mais aussi des attentes des citoyen.ne.s qui font la ville. Le Parcours BD est devenu bien plus qu’une attraction touristique : il illustre une démarche culturelle et sociétale porteuse de messages politiques, culturels et sociaux qui doivent être interrogés, contextualisés et mis en dialogue.

La recontextualisation de symboles contestés

Le BSI, ACME et le CBBD proposent de construire, en concertation avec les acteurs urbains concernés, un discours cohérent, historique et argumenté pour permettre une coexistence légitime et harmonieuse entre des œuvres issues de milieux et d’époques différentes, sans tomber dans une forme de binarisation (femme vs. homme, auteur vs. autrice, représentation ponctuelle de la culture homosexuelle contre une présence hégémonique du pendant hétérosexuel, etc.) ou de tokénisme.

Détail de la fresque « Passe moi l’ciel », rue des Minimes – 1000 Bruxelles. Le second policier de la fresque regarde clairement le seul personnage féminin, qui est représenté pratiquement nue en train de bronzer. Pour certaines associations, le stéréotype de genre est ici complété par une représentation des policiers qui suspectent principalement les femmes et les personnes de couleur. Cette fresque est située à proximité immédiate du Palais de Justice.

L’ensemble des fresques fera ainsi l’objet d’une analyse transversale, dans un premier temps par rapport aux stéréotypes racistes ou sexistes qu’elles peuvent présenter mais aussi par rapport à la présence plus large d’autres stéréotypes, lors d’ateliers de discussions avec des académiques de différentes disciplines (historiens, sociologues, historiens de l’art, de la littérature, de la culture), des spécialistes de la bande dessinée et de l’évolution de l’espace urbain, des auteurs, mais aussi des acteurs de la ville (associations citoyennes, militantes, habitants des quartiers, etc.). Ces ateliers inscriront l’ensemble du projet dans une démarche citoyenne et pédagogique, selon une démarche conforme à l’idée d’une démocratie participative.

Dans un second temps, une notice sera rédigée pour chacune des fresques, conformément à la mission actuellement commanditée par la Ville de Bruxelles et dans un dialogue constant avec les étudiants des différentes entités associées de manières à garantir une approche plurielle et afin d’éviter le biais des générations. Ces notices seront ainsi rédigées de façon cohérente en reposant sur de solides bases méthodologiques. Elles permettront non seulement aux futurs spectateurs, aux visiteurs, aux citoyens de se forger une opinion critique à partir des œuvres mises en scène dans la ville mais aussi de les sensibiliser à la diversité du média de la bande dessinée, à ses évolutions, depuis l’édition mainstream jusqu’aux niches de l’édition alternative, et aux différents discours sociaux qu’elle contribue elle aussi à déconstruire dans une optique de dégenrisation, de décolonisation, etc. Elles permettront de mettre en évidence le riche vivier de créateur.rice.s belges et bruxellois.

L’expertise du Brussels Studies Institute

Fresque « Blondin et cirage », rue des Capucins – 1000 Bruxelles. L’auteur de Blondin et Cirage, Jijé, était rival de Hergé. En opposition avec Tintin, Jijé décide de créer en 1939 une histoire qui prend le contre-pied de Tintin en présentant deux personnages principaux : l’un blanc et blond, l’autre noir. Dans ce duo, celui qui trouve toutes les solutions est le personnage noir, à contre-courant des représentations de l’époque. Mais pour répondre à un stéréotype, faut-il nécessairement construire un contre-stéréotype qui utilise les mêmes codes ?

Face à la multiplication de critiques sur des symboles contestés dans l’espace public (statue, monument, plaque de rue…), le Brussels Studies Institute a développé une expertise sur la recontextualisation de symboles contestés dans l’espace public. Il existe différentes manières de réagir, allant de l’inaction à la destruction de l’objet contesté. Les militants à Bruxelles optent en général pour des actions visant à supprimer ces symboles contestés ou à les détourner en y apposant un tag ou de la peinture rouge par exemple. Consciente que supprimer une œuvre qui fait débat risque purement de supprimer le débat lui-même, la Ville de Bruxelles privilégie l’ajout de textes de recontextualisation et l’ajout de nouvelles fresques issues d’artistes féminines dans le Parcours BD.

Un projet ambitieux

S’il faut bien entendu se réjouir de cette démarche, il convient cependant aussi d’être conscients qu’elle ne permet pas d’aboutir à une recontextualisation cohérente et argumentée de ces représentations contestées. Après l’ajout de notes rédigées pour chacune des fresques, il sera nécessaire de penser à construire une interaction critique avec les Bruxellois.es sur ces thématiques. Le BSI, ACME et le CBBD chercheront donc à poursuivre ce projet ambitieux, en veillant à rester en permanence en dialogue avec les habitants et les associations locales. Ils proposeront également, à titre indicatif, au terme du marché public, plusieurs perspectives à déployer à l’avenir et qui seraient de nature à assurer l’attractivité et la diversité du Parcours ainsi que de la communication qui l’accompagnera désormais (développement d’outils pédagogiques, utilisation de différents médias, etc.).


Une équipe pluridisciplinaire

Portraits des membres du consortium

Plus d’informations sur ce projet :

Iadine Degryse (coordinatrice)
iadine.degryse@ulb.be
0475/56.51.07

 

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